Face au changement climatique et à la raréfaction globale des ressources, que peut-on faire ? À l’heure du constat, de nombreux scientifiques, observateurs, citoyens, se retrouvent dans l’idée que « les approches actuelles pour une gestion durable des ressources naturelles sont décevantes. »
Bienvenue dans l’ère de la résilience
Ce constat d’un échec du développement durable traditionnel, c’est celui de défenseurs d’un nouveau paradigme. En l’occurrence les scientifiques et professeurs américains Brian Walker et David Salt, auteurs du livre Resilience thinking: Sustaining Ecosystems and People in a Changing World, font le constat de la nécessité de renverser la table. Selon eux, il est impératif de nous détacher collectivement de nos comportements « business as usual », trop dépendants d’une quête d’efficacité et d’optimisation de la performance. Walker et Salt, comme tant d’autres, se font dès lors les porte-voix de l’idée de résilience.
Celle-ci se définit comme « la capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société à traverser des perturbations tout en conservant ses principales fonctions » : tout système complexe – une ville, un réseau – se doit désormais d’être capable de s’adapter aux aléas, notamment climatiques. Le fait de penser à cette échelle du système permet d’assurer aux organisations et aux infrastructures la capacité à intégrer des mutations, voire à les provoquer lorsque nécessaire. Mais il ne s’agit pas que d’une question de survie : le « resilient thinking » permet également de faire intervenir, dans les modes de pensée, des paramètres longtemps sous-évalués et ainsi d’obtenir des bénéfices autrefois inconnus.
L’énergie, elle aussi à l’heure de la résilience
Ces dernières années, ce sont les grandes catastrophes naturelles, mais aussi la nécessité de s’organiser face au risque terroriste, qui ont fait émerger la notion de résilience, en particulier auprès des penseurs et concepteurs de l’urbain : à Londres afin de se préparer à la menace terroriste pour les Jeux Olympiques, à Paris pour élaborer une réponse à une éventuelle crue centennale de la Seine, mais surtout et plus encore en Haïti, à Fukushima et dans les États-Unis de la reconstruction post-Katrina ou Sandy… Tous ces cas placent l’idée de résilience au cœur des dispositifs, en opposition radicale à « l’idéologie techniciste du 20ème siècle qui croyait pouvoir réduire les risques » : il s’agit ici, by design, de (re)construire des écosystèmes authentiquement résilients.
La question de la résilience énergétique s’inscrit directement dans ce mouvement. Le défi est en effet de transformer la chaîne énergétique à l’échelle des territoires urbains, lesquels représentent pas moins de 75 % de la demande mondiale. Il ne s’agit rien de moins que d’assurer la pérennité de la commodité « basique » que représente l’énergie pour les citadins et des industries, c’est-à-dire, en un mot, de garantir la sécurité énergétique dans notre ère de catastrophes.
« Sans investissements massifs pour améliorer la résistance des infrastructures [énergétiques], des millions d’individus seront durablement privés de services essentiels dans les pays vulnérables avec, à la clé, des pertes humaines et financières », notait ainsi la Banque mondiale dès 2017, qualifiant la résilience énergétique d’urgence.
Cette réflexion autour des réseaux énergétiques s’entremêle de surcroît avec une autre, qui n’est pas moins cruciale et qui, en forme de paradoxe, s’affirme comme un vaste défi : la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique alors que, dans le même temps, la demande énergétique va continuer à s’accroître. Cette demande, poussée tout particulièrement par l’électrification des industries de la mobilité et par la hausse de la demande liée aux usages domestiques électriques, va en effet croître de 30 % d’ici à 2040 ! Les réponses à cette problématique sont connues : idéal d’« efficacité énergétique » (sobriété de la demande et son équilibrage avec l’offre ; accroissement du rendement des réseaux de chaleur et d’électricité) mais aussi développement des énergies renouvelables et intégration dans le réseau.
Les microgrids, leviers de la transition vers la résilience ?
Mais ces réponses sont elles-mêmes de gigantesques défis technologiques, puisqu’elles invitent à repenser les réseaux énergétiques comme des systèmes dynamiques, capables d’être gérés de manière « intelligente ». C’est donc tout sauf un hasard si les microgrids, ces petits réseaux électriques opérant de manière décentralisée, comme l’analyse la Commission de régulation de l’énergie (CRE), s’affirment comme « un bouleversement à venir pour le secteur de l’énergie ». Car les microgrids, qui permettent de gérer localement production et demande d’électricité, offrent notamment l’avantage de pouvoir s’isoler automatiquement du réseau plus large auquel ils appartiennent, garantissant ainsi le maintien du réseau local même lorsque le « macro-réseau » tombe en panne. Ils s’affirment ainsi comme « la » technologie de la résilience.
L’une des terres pionnières en la matière est la Californie, l’État américain ayant notamment prévu un vaste plan d’investissement en la matière. La multiplication des incendies dans le Golden State, qui a connu fin 2018 son épisode le plus meurtrier de l’histoire, incite à se tourner vers les microgrids. En ligne de mire, la perspective de devoir toujours plus fréquemment mettre hors tension des lignes électriques en cas de météo chaude et sèche, et la nécessité, en ce cas, de continuer à alimenter en énergie ces territoires enclins aux incendies via des systèmes autonomes, tels des panneaux solaires couplés à des batteries. Les microgrids, à court terme, paraissent à cet effet inévitables.
Par-delà le seul objectif de résilience
Certains équipements, ponctuellement, ont fait leur preuve.
A New York en 2012, lors de l’ouragan Sandy, le campus médical Washington Square de la New York University avait ainsi résisté au blackout. La raison ? L’usage de technologies distribuées de stockage et de génération d’énergie : ce campus était en effet équipé (par Veolia) d’un réseau d’énergie en local, alimenté par un système de cogénération de chaleur et d’électricité de 13 MW. Un cas d’école qui contribue à faire s’affirmer les microgrids comme les piliers des futures stratégies de résilience énergétique.
Qu’en sera-t-il dans le monde d’ici 10 à 20 ans ? Déjà, dans le Porto Rico de l’après-ouragan Maria, les microgrids s’affirment comme une solution d’avenir. Alors que pendant la catastrophe, l’effondrement d'un réseau électrique déjà fragile avait complexifié l'approvisionnement en eau et le fonctionnement du réseau téléphonique. Les microgrids se sont imposés dans les stratégies de reconstruction, avec d’importants investissements prévus afin de mettre sur pied des réseaux décentralisés qui permettent un fonctionnement de secours en cas de black-out, et/ou autorisent un rétablissement rapide et localisé de l'électricité. Plus près de chez nous, en France, le microgrid se déploie déjà pour des zones rurales ou isolées afin de les rendre autonomes ; il permet d’y structurer des réseaux d’énergie de surcroît décarbonée, puisqu’il s’agit de solaire, stocké via des batteries lithium-ion ou, après transformation, en hydrogène. Cet hydrogène peut être, en cas de pic de demande ou d’absence de soleil, réinjecté instantanément dans le réseau sous forme d’électricité à travers une pile à combustible. Le développement des microgrids est aussi attendu à l’échelle de sites industriels, qui pourraient opter pour des micro-réseaux collaboratifs mêlant, comme ce projet pilote en Belgique, panneaux photovoltaïques, turbines hydrauliques et unités de stockage. C’est que, comme le suggère le CRE, à l’horizon 2020, selon les secteurs, de 20 à 60 % du coût de l’électricité pourrait être économisé par rapport à aujourd’hui. Ces gains proviennent surtout du meilleur ajustement production/consommation que permet, avec les microgrids, la gestion intelligente de l’énergie. D’autres facteurs, souvent corollaires à cette optimisation à grande échelle, peuvent expliquer ces gains économiques : une réduction des pointes de puissance nécessaires, l’assurance d’une meilleure résilience mais d’une meilleure stabilité (en fréquence et en tension) du réseau, ou encore la possibilité de mieux réguler le marché et d’arbitrer les prix.
En 2030 et a fortiori en 2050, note par ailleurs le CRE, la thèse du développement de microgrids « permettant d’assurer localement l’approvisionnement de quartiers » paraît la plus probable. En Australie, un exercice prospectif mené à horizon 2040 pressent aussi l’essor de marketplaces d’énergie locale, autour de plateformes blockchain où s’échangent, de pair à pair, de l’énergie solaire grâce aux microgrids. Ceux-ci, au-delà de faciliter les nouveaux objectifs de résilience, s’affirment ainsi également comme une technologie de premier plan pour, à l’avenir, utiliser de manière flexible et dynamique les énergies renouvelables.
En collaboration avec Usbek & Rica, le média qui explore le futur