Lancé en septembre dernier, le collectif +1 s’est retrouvé une troisième fois le 7 décembre dernier, autour de la thématique de la formation, essentielle pour activer la transformation écologique en entreprise. Les participants de l’atelier d’intelligence collective ont planché sur des dispositifs innovants pour faire évoluer les compétences au sein d’écosystèmes apprenants horizontaux et inclusifs, en s’inspirant aussi bien des communautés de dauphins et de la sagesse du poulpe que de Socrate et Mulan.
85%. C’est le pourcentage, un brin vertigineux, des emplois de 2030 qui n’existent pas encore aujourd’hui, selon un rapport de Dell et du think tank californien l’ « Institut pour le Futur ». Un bouleversement à attribuer en partie à la transformation écologique, indissociable d’une transformation des compétences, a introduit Fanny Demulier, coordinatrice du comité de pilotage de la raison d’être de Veolia, en évoquant une « nécessaire évolution des connaissances et des savoir-faire, mais aussi des savoir-être ». De fait, ces compétences « douces », liées à la personnalité, sont déjà considérées par 70% des employeurs au même niveau d’importance que les savoirs techniques, a-t-elle rappelé.
Cette réflexion s’inscrit dans la continuité des travaux menés au sein du prototype de concertation « +1, pour une écologie en actions », initié par Veolia en partenariat avec Usbek & Rica et la REcyclerie. Après avoir mis au point lors des deux premières sessions, le 14 septembre et le 12 octobre, des dispositifs pour prendre des décisions enrichies par l’écoute de l'ensemble des parties prenantes, les membres du collectif se sont demandés cette fois comment accompagner ce bouleversement des métiers et des compétences de manière efficace, pour impulser la transformation écologique.
La formation, une expérience individuelle et collective pour un changement de perspective global
Mais de quelles compétences parle-t-on ? De la plus consensuelle « ouverture d’esprit » aux contradictoires « pragmatisme » et « utopie », les membres du collectif ont proposé une profusion de mots pour y répondre, illustrant la complexité de la tâche à accomplir. Une chose est sûre : l’éducation est un levier clé dans la transformation écologique car elle « façonne notre carte mentale, la manière dont on voit le monde et agit au quotidien », a souligné Matthieu Dardaillon, président et cofondateur de Ticket for Change, une école pour former les acteurs du changement.
Pour amorcer la transformation écologique, les compétences à acquérir sont aussi bien « techniques » que « comportementales », a-t-il avancé.
Demain, il faudra savoir construire une stratégie climat, gérer l’écoconception, faire de la finance durable, mais il faudra aussi développer la pensée systémique, l’esprit critique, l’empathie… » Une approche qui laisse une large place à ce qui « anime profondément les individus ». Car il ne s’agit pas simplement d’ajouter une compétence supplémentaire, mais bien de « changer complètement de vision du monde », a insisté Matthieu Dardaillon.
Une approche à laquelle Olivier Carlat, directeur de la formation et du développement social chez Veolia, a tenu à ajouter une dimension sociale forte. « La transformation écologique, qui s’articule par ailleurs avec la transformation digitale, va percuter l’emploi, en particulier les primo-accédants sur le marché du travail et les métiers peu qualifiés », a-t-il fait valoir en prenant l’exemple de l’automatisation croissante des centres de tri des déchets qui réduit la demande en trieurs. D’où l’importance de s’assurer que « cette transformation écologique soit inclusive » et d’en faire ainsi « une opportunité de transformation sociale. »
Ce sera du moins la philosophie de la future École de la Transformation écologique lancée par Veolia « pour préparer aux métiers de demain et anticiper les besoins de reconversion et de formation aux nouvelles compétences répondant à l'urgence environnementale ». « L’objectif est d’avoir un écosystème apprenant », explique Olivier Carlat. La question de l’attractivité sera également clé :
Tous ces métiers ne sont pas toujours connus, et peuvent être connotés, comme le fait de travailler sur la valorisation des déchets.
Un bouillonnement des imaginaires
Après cette introduction, c’est aux membres du collectif +1 qu’est revenue la tâche d’imaginer de nouvelles manières de former, adaptées aux enjeux de la transformation écologique. Sur le modèle des deux premières sessions, 10 sous-groupes se sont formés pour travailler autour de 5 thématiques :
- Connaissances et savoir-faire : quels sont les savoirs communs indispensables à avoir pour activer cette transformation écologique ?
- Savoir-être, ensemble : quel est le changement de posture à activer envers soi-même, envers le collectif et envers la planète ?
- Reconversions, nouveaux métiers et attractivité : comment démarrer cette transformation sans qu’elle ne soit subie ?
- Ingénierie pédagogique : si la salle de classe n’est plus le seul endroit approprié pour former, quels sont les autres endroits et manières de mettre en place des formations aujourd’hui ?
- L’entreprise et son écosystème d'apprenants : comment forme-t-on sans laisser personne sur le côté, que ce soient les personnes les moins aptes ou les moins intéressées ?
Comme l’a souligné Max Mollon, enseignant-chercheur et créateur d’ateliers de design fiction, « la formation est souvent représentée de manière homogène, à travers le modèle de la salle de classe, ce qui amène à penser la formation toujours de la même manière. »
Tout le défi aura donc été d’imaginer des dispositifs de formation innovants, au service d’une véritable transformation des connaissances, des savoir-faire et des savoir-être, pour mettre en œuvre les évolutions dont nos sociétés ont besoin.
Pour trouver d’autres imaginaires, les participants, représentants les différentes parties prenantes de Veolia (Salariés, Clients, Actionnaires, Société et Planète), ont pu s’inspirer des cartes mises à leur disposition proposant des solutions inspirées de la fiction, de pratiques de formation existantes ou encore du biomimétisme. Pour apprendre à apprendre en groupe, pourquoi ne pas se mettre dans la peau des dauphins de la baie Shark en Australie qui s’enseignent mutuellement à utiliser des éponges et à secouer des coquillages lorsqu’ils chassent, par exemple ? Réputé pour sa curiosité et son sens de l’observation hors pair, le poulpe aura lui aussi servi de source d’inspiration à plusieurs ateliers. D’autres se sont laissés guider par l’énergie qui anime M. Keating, le professeur anticonformiste du Cercle des poètes disparus (1989), par la maïeutique de Socrate consistant à faire « accoucher » l’autre de ses idées plutôt que de les lui enseigner, ou encore par le parcours de Mulan, dont l’apprentissage dans la peau d’un autre - en l’occurrence d’un homme - s’est révélé particulièrement efficace.
Transformer les entreprises en écosystèmes (auto)apprenants
Propulsés par ces imaginaires, nombre des groupes de travail ont suggéré de faire table rase des hiérarchies pour faire émerger de véritables écosystèmes de formation. L’un des ateliers a imaginé une « communauté auto-apprenante en formation continue » réunissant de manière diversifiée des représentants d’une entreprise. Une alternative horizontale à « une élite qui décide des enjeux de la formation de manière “top-down” ». Dans la même veine, un groupe a émis l’idée de réunir des « passionnés » par les enjeux de la transformation écologique de tous niveaux hiérarchiques au sein d’un « cercle des référents influents », formés pour diffuser et enrichir la politique de l’organisation en matière d’environnement.
Cette philosophie se prête aussi à la phase de recrutement : pour faciliter la transformation des métiers et l’émergence de nouveaux savoirs et compétences, pourquoi ne pas mettre en place une « agora de recrutement par les collaborateurs » ? Démocratique, cette instance inclurait toute l’équipe – car c’est elle qui est bien souvent désignée pour former les nouveaux arrivants – pour sélectionner les candidats à intégrer sur la base notamment des soft skills, qu’on évaluerait grâce à des jeux.
L’importance de sortir des seules notions théoriques a également été mise en avant à plusieurs reprises. Pour accompagner les travailleurs d’une usine de traitement de l’eau qui adapte ses pratiques pour produire du biométhane, l’un des groupes a proposé un stage d’immersion d’une équipe dans un milieu décalé - pourquoi pas un stage de plongée, par exemple - pour apprendre en groupe et resserrer les liens, mais aussi se redonner confiance face à un changement qui peut être source d’inquiétude.
Cette troisième session ne signe pas la fin du collectif, bien au contraire. Le rendez-vous est donné le mardi 29 mars prochain, à la REcyclerie, pour présenter le livrable final, un carnet de bord qui racontera le travail effectué lors de ces sessions accompagné d’un kit de déploiement qui permettra à tout acteur souhaitant s’en inspirer de répliquer ce dispositif dans son contexte. À cette occasion, la suite donnée à ce dispositif sera présentée afin d’élargir le mouvement engagé par le Collectif +1, mais aussi d’aller plus en profondeur sur ces enjeux de co-construction entre parties prenantes d’horizons variés au service de la transformation écologique.