Et si une partie des solutions visant l’efficacité énergétique et la réduction de l’impact sur le climat résidait dans les stations d'épuration (STEP) ? Ces grosses consommatrices d’énergie – entre 1 et 3% de la production mondiale, selon l’International Water Association – voient ainsi leur rôle évoluer jusqu’à devenir des bioraffineries.
Enjeu
Les coûts énergétiques élevés des usines de traitement des eaux usées (STEP)
Objectif
Rendre les usines autosuffisantes et réduire leurs émissions de gaz à effet de serre
Réponse de Veolia
Introduire l’efficacité énergétique, les microgrids et l’utilisation de biogaz autoproduit dans ses STEP
Part de la consommation mondiale d’énergie des usines de traitement des eaux usées (estimation IWA - International Water Association)
Consommation d’énergie annuelle de Veolia, dont 70% pour le traitement de l’eau et l’assainissement
Valeur du potentiel de réchauffement global (PRG) du méthane sur 100 ans par rapport à celui du dioxyde de carbone. Ce rapport atteint 84 à 86 sur 20 ans... (source : ONU)
Part du gaz russe potentiellement remplacé en France grâce à la valorisation énergétique des déchets organiques
À RIALTO, UN MICROGRID SOLAIRE SUR LA STEP
En Californie, les salariés de Veolia ont imaginé un microgrid1 alimenté par une combinaison unique de cogénération au biogaz, d’énergie solaire et de stockage de batteries de secours pour fournir en électricité la STEP de la ville de Rialto, à l’est de Los Angeles. Le Rialto Water Services, qui gère l’approvisionnement et l’assainissement pour les quelque 100 000 habitants de la cité, a signé en 2013 avec Veolia un contrat de concession public-privé de trente ans. C’est dans ce cadre qu’a été annoncée en 2021 la solution de microgrid. « Veolia travaille avec ses clients pour investir, voir grand et être créatif en matière de protection de la ressource, confie Frédéric Van Heems, directeur de la zone Amérique du Nord de Veolia. La STEP de Rialto est un bon exemple de la façon dont les municipalités peuvent agir en faveur d’un avenir plus vert, en améliorant leur efficacité énergétique et en utilisant une source d’électricité en micro-réseau. » Le coût prévisionnel du projet, jusqu’à son achèvement en 2024, s’élève à 15 millions de dollars et sera amorti dans le contrat à 30 ans, donc sans augmentation des impôts locaux. Le projet comprendra un moteur alternatif de 360 kW fonctionnant au biogaz – généré lors du traitement des eaux par la technologie de digestion anaérobie – un système photovoltaïque de 1,6 MW et une batterie lithium-ion de 2,5 MWh d’une autonomie de quatre heures. L’usine est donc autosuffisante et peut fonctionner en cas de panne de courant, mais aussi revendre l’excédent d’énergie au réseau électrique pour augmenter ses revenus. Aucun gaz naturel ne sera utilisé, ce qui évitera l’émission de 600 tonnes de CO2 par an.
Un projet doublement vertueux pour l’environnement, selon Frédéric Van Heems : « En plus de son impact positif en matière d’efficacité énergétique et de résilience, l’opération contribuera de manière significative à protéger des ressources naturelles cruciales dans la région. » La STEP est en effet située à proximité d’une voie navigable sensible où niche une espèce menacée : le poisson meunier rouge de Santa Ana.
1 Mini-réseau d’énergie intelligent.
L’ÉNERGIE VERTE DES BOUES DE KUBRATOVO
Près de Sofia, capitale de la Bulgarie, Veolia exploite l’une des plus grandes usines de traitement des eaux usées des Balkans. Autrefois grosse consommatrice d’électricité – entre 16 000 et 24 000 MWh par an – elle a fait l’objet en 2009 d’une modernisation grâce à l’installation d’unités de cogénération utilisant le biogaz produit par les digesteurs anaérobie. Résultat en 2021: 23 600 MWh produits. Combinée aux mesures prises en 2017 pour réduire la consommation énergétique de l’usine, cette production a conduit à un excédent de 16% d’énergie verte par rapport à la quantité nécessaire à l’exploitation.
« En Europe centrale, les sources d’énergie historiques étaient le charbon et le gaz, rappelle Philippe Guitard, directeur de la zone Europe centrale et orientale de Veolia. Mais avec l’actuelle guerre en Ukraine, le prix de l’énergie a beaucoup augmenté. Grâce à l’autosuffisance du site, au lieu d’être exposés à cette flambée, nous pouvons vendre notre excédent d’électricité et l’injecter dans le réseau électrique, mais aussi fournir du biocarburant à nos flottes de véhicules. Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, au pouvoir réchauffant environ 30 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Par conséquent, son extraction de l’eau et sa transformation en biogaz pour générer de l’électricité sont une solution très intelligente pour contribuer à atténuer les effets du changement climatique. »
DES STEP GÉNÉRATRICES DE BIOMÉTHANE
Stratégiquement, Veolia reconnaît qu’il doit réduire à la fois le coût et l’impact sur le climat des STEP qu’il exploite. Il doit aussi déterminer s’il peut être plus efficace de produire un biogaz propre à partir du méthane pour l’injecter dans les réseaux de gaz. D’après Geneviève Leboucher, directrice de l’activité Accès à l’eau et à l’assainissement de Veolia, la consommation électrique du Groupe est de 7 TWh par an et coûte 750 millions d’euros, dont 70% rien que pour le traitement de l’eau et l’assainissement. « Tous les territoires sur lesquels travaille Veolia sont confrontés aux mêmes problèmes économiques liés au coût de l’énergie, et un nombre croissant d’entre eux se soucient du changement climatique, rapporte-t-elle. La crise de l’énergie nous a poussés à accélérer la réduction de notre consommation parce que nous devions gérer nos coûts. Mais cela représente aussi une opportunité de transformation, vers le développement de notre capacité de production de biométhane et l’identification d’autres sources de matières premières pour notre parc actuel, afin de maximiser cette production. Très souvent, le biométhane est utilisé sur place pour produire de l’énergie et de la chaleur. Mais, en prenant du recul, on s’aperçoit qu’il peut être plus efficace de nettoyer le gaz et de l’injecter dans les réseaux pour d’autres usages sur le territoire, par exemple résidentiels. » Avec cette approche, un plus grand nombre de STEP exploitées par Veolia pourraient produire un gaz à la fois local, peu onéreux et durable, destiné aux usages domestiques (chauffage et cuisson).
Vous avez annoncé que les services de Veolia en France seront autonomes en énergie d’ici à cinq ans, comment allez-vous atteindre cet objectif ?
Jean-François Nogrette : En déployant toutes les marges de manœuvre de nos savoir-faire et de nos métiers. Premièrement, nous allons augmenter notre production d’énergie, une énergie 100% locale, 80% d’origine circulaire et 20% d’origine solaire. Nous allons déployer des panneaux photovoltaïques sur les sites qui le permettent, augmenter la production de biogaz à partir des déchets organiques et des boues des stations d’épuration, et renforcer la production d’énergie à partir de combustibles solides de récupération issus de déchets non recyclables. Nous produirons ainsi plus de 2 térawattheures (TWh) d’énergie pour couvrir intégralement l’équivalent de la consommation actuelle de nos services. Nous allons ensuite mutualiser nos flux au sein de la zone et serons ainsi les premiers à utiliser l’énergie que l’on produit. Nous sécuriserons à la fois notre approvisionnement et nos dépenses énergétiques qui seront largement décorrélées de la volatilité des cours de l’énergie. Enfin, nous diminuerons nos consommations d’énergie, en remplaçant nos matériels les plus énergivores, en déployant les outils digitaux du Hubgrade et, bien évidemment, en nous appuyant largement sur la maîtrise et l’expérience opérationnelle de nos exploitants. C’est dans cet esprit que nous sommes engagés dans le dispositif EcoWatt conçu par RTE et l’Ademe.
Quels sont les avantages de l’exploitation du biogaz tiré des STEP justement, et dans quelle mesure est-elle développée en France ?
J.-Fr. N. : On estime qu’en France, nous pourrions réduire de 25% notre dépendance au gaz russe – qui représente aujourd’hui 17% des importations de gaz – si nous produisions du biométhane à partir de tous nos déchets organiques agricoles et de nos ressources locales en eau. Veolia se mobilise afin d’augmenter la quantité de biogaz produit en France, notamment pour l’injecter dans le réseau de gaz. Nous avons développé une technologie membranaire pour purifier le biométhane extrait du biogaz.
Que pouvons-nous faire d’autre pour développer l’infrastructure en France ?
J.-Fr. N. : Il reste beaucoup à faire! Le réseau de distribution de gaz devient progressivement un réseau de collecte de biométhane et nous avons encore beaucoup de potentiel. En France, seulement 15% des grandes stations d’épuration sont équipées de digesteurs qui produisent le biogaz, contre 100% en Suisse... La réglementation française nous interdit de mélanger les boues provenant des STEP avec les déchets verts et alimentaires, là où d’autres pays européens autorisent cette pratique. Si c’était le cas, nous pourrions doubler la quantité produite dans les digesteurs déjà existants. Le plan biogaz de notre pays prévoit d’atteindre l’autonomie en 2050, nous devons accélérer!
Pour la valorisation du CO2, un partenariat scientifique et industriel
Veolia, le SIAPP (plus grand organisme d’assainissement en Europe), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Collège de France collaborent sur un projet de recherche visant à capturer le CO2, en particulier dans le biogaz produit par les STEP, et à le convertir en acide formique, en méthanol et en méthane. L’acide formique peut être utilisé pour traiter l’azote dans les STEP et augmenter encore le potentiel de production d’énergie. Lorsque le biométhane est brûlé pour générer de l’électricité, l’azote agit comme un inhibiteur et réduit ses propriétés de combustible. En retirant l’azote du mélange gazeux, il devient possible d’extraire davantage d’énergie du CO2 pur. Les partenaires espèrent disposer d’ici trois ans d’une usine pilote pour tester cette technologie, susceptible d’être utilisée dans les STEP, mais aussi dans les unités de digestion anaérobie et les incinérateurs de déchets.