Après une première session sur le thème de l’écoute, les membres du collectif “+1” se sont réunis une nouvelle fois le 12 octobre. De projections dans le futur à la création d’instances démocratiques en passant par la mise en place de solutions fondées sur le hasard, ils ont imaginé des dispositifs innovants pour convertir l’écoute en prise de décision collective, au service de la transformation écologique.
Lors du lancement du prototype de concertation “+1, pour une écologie en actions”, initié par Veolia en partenariat avec Usbek & Rica et la REcyclerie, le 14 septembre, il avait été question de l'Écoute. Comment mettre autour de la table salariés, actionnaires, clients, citoyens, experts et ONG pour nouer un dialogue efficace autour de la transformation écologique ? La cinquantaine de participants de cette session avaient alors planché sur des solutions pour impliquer au mieux l’ensemble des parties prenantes, que ce soit en donnant la parole à des représentants du vivant ou en laissant s’exprimer l’inconscient de chacun, dans le passage à l’acte pour une écologie concrète, du quotidien.
Cette seconde session s’inscrit dans le prolongement de cette réflexion.
« Après avoir pris le temps d’apprendre à mieux nous écouter, pour construire un socle fiable et de confiance à notre action, il s’agit d’œuvrer à comprendre comment mieux décider collectivement, pour parvenir à une création de valeur davantage partagée »,
a expliqué Fanny Demulier, Coordinatrice du comité de pilotage de la raison d’être de Veolia, en rappelant « l’envie de travailler de manière plus décloisonnée » qui est au cœur de ce collectif.
De fait, l’entreprise d’aujourd’hui – et encore plus celle de demain, parions-le – n’agit pas seule, a souligné en substance Anne Le Guennec, Directrice générale des activités Recyclage et Valorisation des Déchets France de Veolia.
Pendant longtemps, l’économie circulaire et l’écologie, c’était un geste très individuel. Il y a eu un moment, il y a deux ou trois ans, où ce geste citoyen n’a plus été suffisant face à l’urgence, où les gens ont demandé à ce que le gouvernement s’implique et à ce que les industriels apportent des solutions. L’enjeu aujourd’hui est de réconcilier le geste citoyen et les choix stratégiques de l’industriel afin de répondre collectivement et efficacement aux défis de la transformation écologique. On s’inscrit dans cette chaîne-là, notamment parce qu’on aide l’industriel à mieux produire (à travers des démarches d’écoconception par exemple) mais aussi le citoyen à mieux trier et recycler.
Décider avec « moins de dopamine et plus de sens »
Articuler cette chaîne pour emprunter un chemin commun : le défi est de taille, d’autant que comme l’a fait remarquer le docteur en neurosciences et journaliste scientifique Sébastien Bohler, lauréat du Prix du Livre Environnement de la fondation Veolia pour son livre Le bug humain. Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l'en empêcher (Robert Laffont, 2019) et auteur de Où est le sens ? (Robert Laffont, 2020), « il n’existe pas de cerveau collectif ».
L’être humain est très doué pour collaborer sur les aspects techniques, mais sur l’aspect décisionnel et stratégique, il est plus difficile d’intégrer plus de quelques personnes, a diagnostiqué Sébastien Bohler. Il peut y avoir beaucoup de freins à l’élaboration d’une décision intelligente comme la rétention d’informations ou encore la présence du responsable de service lors des séances de brainstorming pouvant censurer les idées. En identifiant ces freins, on peut minimiser les erreurs.
Encore faut-il, au niveau individuel, se détacher de l’emprise du striatum, ce petit organe dans le cerveau qui récompense avec de la dopamine bon nombre de nos actions consommatrices de ressources et émettrices de pollutions. La quête du statut social nous pousse, par exemple, à renouveler en permanence nos garde-robes, à acheter le dernier smartphone nouvelle génération, à chercher les « like » sur les réseaux sociaux, … Pour le spécialiste, il vaudrait mieux s’en remettre à un autre organe, le cortex cingulaire, qui cherche plutôt à trouver du sens à notre existence sur le long terme, faute de quoi il libère des hormones du stress.
Finalement, a-t-il suggéré, il paraît urgent de « créer de nouvelles visions du monde partagées, qui rassurent notre cortex cingulaire », à rebours de « l’accélération permanente des rythmes de vie » qui ne nous rend pas plus heureux, au contraire. Bref, un changement de paradigme complet pour prendre des décisions avec « moins de dopamine et plus de sens. »
Choisir un cap et s’y tenir est sans doute le meilleur moyen d’y arriver, a alors avancé Anne-Claire Impériale, responsable de la recherche ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) chez Sycomore, une société de gestion d’actifs labellisée B Corp, et membre du collectif +1.
Pour les entreprises qui ont fait le choix de définir leur mission très clairement, c’est ce qui leur permet de prendre les bonnes décisions, en faisant en sorte qu’elles soient toujours alignées à cette mission (qui devra avoir fait l’objet d’une écoute préalable).
Décider à la lumière du futur
Penser le long terme tout en amorçant le changement rapidement : voilà qui résume bien la complexité de la tâche à accomplir. Un enjeu auquel les ateliers d’intelligence collective ont tâché d’apporter des réponses à travers la conception de dispositifs de prise de décision novateurs. Répartis en 10 groupes, les 50 participants aux profils variés, représentants chacun une partie prenante de Veolia (salariés, clients, actionnaires, société, planète) se sont concentrés sur un aspect précis du processus décisionnel parmi cinq grandes thématiques :
- Les conditions : comment créer les conditions de la co-construction ?
- Le cap : comment choisir un cap et le tenir ensemble ?
- La vision écosystémique : comment rassembler les parties prenantes et leur permettre d’identifier leurs relations d’interdépendance ?
- Le diagnostic : comment qualifier le problème et nos responsabilités vis-à-vis de celui-ci ?
- La gouvernance : qui décide ? Comment s’implique-t-on dans le processus de décision ?
« Comme le disait Sébastien Bohler, nos cerveaux sont parfois freinés par des représentations partagées. Pour arriver à en sortir, il faut faire appel à l’imaginaire », a préconisé Max Mollon, enseignant-chercheur et créateur d’ateliers de design fiction en présentant, comme lors de la première session, des cartes avec des solutions issues de la science-fiction, de pratiques humaines existantes ou encore de mécanismes du vivant dont on peut s’inspirer. Face à l’urgence, faut-il décider sous la contrainte du stress et de la survie comme dans la série Squid Game où les personnages sont invités à prendre part à un jeu mortel ? Ou imaginer des processus de décision réversibles, à l’image de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui a opté pour le stockage profond en se laissant la liberté de changer de solution si une meilleure méthode était un jour mise au point ? À moins qu’il ne faille tout simplement faire confiance au groupe, comme les abeilles en se fiant aux éclaireuses pour essaimer au bon endroit…
Mais c’est sans doute la solution inspirée du Château de l’araignée (1957) d’Akira Kurosawa, où la femme du héros influence celui-ci pour faire en sorte qu’une prophétie se réalise, qui a le plus parlé aux participants. Prédire le futur serait en effet bien pratique pour lutter contre la peur de l’inconnu éprouvée par certaines entreprises lorsqu’il est question d’adopter des pratiques plus responsables, susceptibles de mettre en danger leur modèle économique… On demanderait alors à un humain de 2050 ou de 2100 si la solution en question a porté ses fruits et si l'entreprise s’en est bien sortie, a suggéré l’un des groupes. Un autre a imaginé la création d’une assemblée appelée « les façonneurs du cap » venus de l’an 2057, composée notamment de messagers des générations futures et de la nature venus éclairer les décisions.
Création d’instances démocratiques et randomisation
Les solutions concrètes qui ont émergé de ce détour par la fiction ont quant à elles fait la part belle aux instances démocratiques nouvelles, donnant de la voix à des parties prenantes rarement entendues. Parmi elles, un comité de la nature et des générations futures siégeant au Conseil municipal, un conseil bicéphal œuvrant pour la sobriété hydrique (composé d’un comité d’habitants et d’un comité scientifique) ou encore un conseil écosystémique donnant la parole à des représentants des montagnes, des fleuves et des forêts. Évoquée à plusieurs reprises, la Convention citoyenne pour le climat aura été une source d’inspiration majeure.
Se mettre dans la peau des premiers concernés, c’est aussi l’idée qu’a eu un des groupes de l’atelier travaillant sur la place controversée du loup en France : et si, pour établir un diagnostic partagé, on plaçait une caméra sur la tête de l’animal ou on le suivait avec un drone ? Une expérience sensible qui permettrait sans doute de mieux appréhender son comportement.
Autre piste explorée dans le cadre de ces ateliers : remettre du hasard dans les décisions pour accélérer la mise en place de solutions. S’attaquant au sujet de la pollution de l’air liée à l’automobile, des participants ont proposé de mettre en place des ZFE (zones à faibles émissions) aléatoires mais réversibles, dans des zones géographiques tirées au sort qui expérimenteraient diverses solutions : le tout-vélo, la modification des moteurs des voitures, les pièges à particules, …
Ces propositions seront mises à disposition de tous dans un livrable final afin que le dispositif puisse ensuite être déployé plus largement dans d’autres contextes, par tous ceux qui souhaiteraient s’en inspirer.